Critique de ‘Le Centenaire au fusil’ de Benoît Philippon – Ponte alle Grazie

LE CENTENAIRE AVEC LE PISTOLET || Benoit Philippon || Ponte alle Grazie ||

13 juin 2023 || 370pages

Un petit village du Massif central français. Le lever du soleil. Des coups de feu retentissent. Une dame âgée a pris le fusil de chasse et a commencé à tirer sur le voisin, puis sur les policiers qui étaient arrivés. C’est ainsi que l’inspecteur André Ventura rencontre Berthe Gavignol, cent deux ans, quintuple veuve, encore assez vive et toujours douée pour bien viser. Dans l’interrogatoire qui suit, l’inspecteur et le lecteur découvriront la vielle dame vive à la langue acérée et à la gâchette facile, amenés à retracer les principaux épisodes de sa longue vie et de sa carrière criminelle. Qui était vraiment Berthe : une tueuse en série, une sorte de femme Barbe Bleue ou une femme libre, une féministe ante litteram, capable de conquérir l’émancipation à coups de fusil ?

Le centenaire au fusil c’est le récit de la vie de Berthe Gavignol, née le 11 juillet 1914, mariée six fois, veuve autant !

A l’âge de 102 ans, et après avoir enterré sept hommes dans la cave de sa maison, Berthe est arrêtée pour avoir tiré sur sa voisine et les policiers entourant son chalet.

Assise sur une chaise inconfortable dans la salle d’interrogatoire d’un commissariat, en présence de l’inspecteur Ventura, Berthe va démêler la longue histoire de sa malheureuse vie.

Orpheline d’un père mort pendant la Première Guerre mondiale et qui ne l’a jamais connue et d’une mère qui l’a toujours ignorée jusqu’à finalement l’abandonner, Berthe grandit avec Nana, sa grand-mère adorée qui vend de l’alcool de contrebande qu’elle produit elle-même.

Berthe est belle et plantureuse autant que vive et décomplexée et démontre ces particularités dès son plus jeune âge !

Ce que nous diront Gavignol et l’inspecteur Ventura, c’est une vie faite de souffrance, de pauvreté et de douleur. Entre maris violents et soldats nazis prêts à profiter d’elle, Berthe a dû se battre toute sa vie non seulement contre les hommes qu’elle a épousés, mais aussi contre les préjugés de ses propres concitoyens.

La protagoniste est assurément sympathique : ironique et un peu exagérée, Berthe Gavignol a tout pour captiver les lecteurs !

Le problème, c’est l’histoire que Philippon lui coud ; une histoire qui au premier abord peut sembler un peu surréaliste, mais qui, au fur et à mesure de votre lecture, se révèle exagéré et difficile à lire.

Si au départ on sympathise avec Berthe et pleure les malheurs qui lui arrivent, en continuant dans la narration une sorte d’agacement prend le dessus qui fait penser que tout ce qui arrive à Berthe c’est vraiment trop.

Chaque mari apporte avec lui un fardeau de violence et d’ennui qui fait qu’on se demande pourquoi cette femme persiste à se marier, surtout face à ce qu’elle prétend être indépendante et libre !

La réponse est unique : le sexe. Depuis toute petite, Berthe a fait de son corps et du plaisir qu’elle peut en retirer sa source de joie et l’auteur choisit de nous faire part de tous les détails relatifs aux relations sexuelles de Berthe, y compris une sorte de relation lesbienne qu’elle a eue en tant que adolescent, qui s’y jette, entre l’histoire d’un mari mort et l’autre.

Chaque petit détail de la relation sexuelle entre Berthe et Mirtylle est décrit par Philippon en détail. Dans quelle mesure tout cela est-il fonctionnel pour le roman ? En aucun cas!

Un chapitre à part mérite Luther, le seul vrai grand amour de Berthe. Le problème est que lorsque leur histoire prend forme, pour se conclure ensuite, elle aussi, de manière tragique, le lecteur a déjà pris le dessus sur cette fatigue qui le pousse à lire plus par inertie que par réel intérêt ; et l’empathie que Berthe et sa douleur méritent de recevoir a disparu quelques pages plus tôt.

La fin, que l’auteur a voulu rendre tragique et émouvante à la fois, ne fait qu’exacerber cette sorte d’agacement rampant qui accompagne une grande partie de la lecture de ce roman.

Une occasion manquée : raconter la vie douloureuse de Berthe Gavignol, transformée par l’auteur en nymphomane armée !

Evidemment, l’écriture crue de Philippon, cerise (gâtée) sur un gâteau rassis, n’arrange rien !

Je remercie la Maison d’édition de m’avoir envoyé l’exemplaire du roman