Avec Le Dictionnaire du sang, Jean-François Schved signe une œuvre singulière, ambitieuse et étonnamment accessible. Publié chez L’Harmattan, ce recueil de cent articles explore le sang sous toutes ses formes : scientifique, culturelle, symbolique et artistique. Loin d’être réservé aux seuls spécialistes, ce livre s’adresse à tous les curieux, en particulier aux étudiants en médecine ou en sciences humaines, avides de comprendre ce que ce fluide vital dit de nous, de nos corps, de nos sociétés et de notre imaginaire collectif.
Un objet éditorial inclassable
Ce n’est pas un dictionnaire classique. Il n’y a ni ordre alphabétique rigide, ni traitement purement médical. Il s’agit plutôt d’une série de textes courts, vivants, organisés autour de thématiques très variées. Chaque article est un point d’entrée dans un monde parallèle : celui du sang, vu à travers les yeux d’un médecin passionné par la transmission, et habité par une véritable curiosité pour la culture.
On y découvre autant des éléments de physiologie – la composition du plasma, le rôle des globules blancs ou les mécanismes de la coagulation – que des récits historiques sur la transfusion sanguine, des réflexions sur les proverbes populaires, ou des analyses fines de l’usage du sang dans le cinéma, la littérature, les mythes et les religions.
Une vulgarisation réussie, précise mais jamais pesante
En tant qu’hématologue, Schved maîtrise son sujet, mais ce qui rend ce livre remarquable, c’est sa manière de le partager. Aucun jargon inutile, aucune complexité écrasante. Il sait expliquer ce qu’est une anémie, pourquoi la vitamine B12 est essentielle, comment les greffes de moelle fonctionnent ou ce que signifie exactement “sang contaminé”, sans jamais perdre de vue le lecteur.
Chaque concept médical est éclairé par des anecdotes, des exemples historiques ou des parallèles culturels. Cette approche narrative rend l’ensemble fluide et captivant, et permet une lecture agréable même pour ceux qui ne possèdent aucune formation scientifique.
Le sang comme miroir des sociétés
Schved ne s’arrête pas à la biologie. Il plonge dans les représentations sociales et symboliques du sang : du « sang bleu » des aristocrates à la peur du sang menstruel dans certaines cultures, de l’idée de “pureté du sang” à ses dérives racistes ou eugénistes. Il aborde aussi la place du sang dans la religion – sacrifices, eucharistie, martyr – et dans les récits collectifs, comme ceux des vampires ou des champs de bataille.
Le sang devient ainsi une sorte de code, un langage que les sociétés n’ont cessé d’utiliser pour exprimer la filiation, l’honneur, la souffrance ou la révolte. Ce regard anthropologique enrichit considérablement la portée de l’ouvrage et lui confère une véritable profondeur.
Un livre utile pour les étudiants en médecine et en lettres
Par sa richesse thématique, Le Dictionnaire du sang est un formidable outil pour nourrir la réflexion interdisciplinaire. Un étudiant en médecine y puisera un regard plus humaniste sur son futur métier. Un étudiant en lettres ou en histoire y trouvera des références précieuses sur l’imaginaire du sang dans les textes littéraires ou les récits historiques.
Chaque article peut être lu indépendamment, utilisé en cours, cité dans un exposé ou alimenter une dissertation. La forme fragmentaire, très souple, permet de s’y plonger au hasard, comme on ouvre un recueil de nouvelles.
Conclusion : une lecture précieuse, originale et inépuisable
Le Dictionnaire du sang est une réussite rare. À la fois savant et accessible, documenté et ludique, il dresse le portrait d’un fluide aussi familier que mystérieux. Jean-François Schved ne se contente pas de faire œuvre de pédagogue : il nous invite à repenser notre rapport au corps, au langage, à l’histoire.
C’est un ouvrage à lire, relire, offrir, et conserver précieusement. Car le sang, tel qu’il est raconté ici, n’est pas seulement une matière biologique : il est aussi la trace profonde de ce que nous sommes, en tant qu’êtres vivants, pensants, et racontants.