Avec Prescience, Julia Brandon met un point final à sa trilogie Les Passagers, entamée avec sensibilité et mystère dès le premier tome. Une œuvre littéraire rare, qui ne se contente pas de raconter une histoire : elle interroge profondément ce que cela signifie d’être au monde, d’y avoir une place – ou non. Et derrière ce titre en apparence simple se cache toute une symbolique : celle de l’impermanence, du doute, et des identités incertaines.
Un titre trompeusement calme
Les Passagers. Deux mots anodins qui évoquent un voyage, un déplacement, un mouvement. Mais très vite, à travers les trois tomes de la saga, on comprend que ce sont moins des voyageurs que des êtres en transit intérieur que met en scène Julia Brandon. Des personnes qui vivent sans parvenir à se fixer, des consciences qui flottent entre passé non digéré et futur flou. Le mot “passager” devient alors métaphore : celle de ceux qu’on oublie, qu’on efface, ou qu’on empêche d’exister pleinement.
Des personnages qui se cherchent
Au cœur de cette saga, Gustave Drime. Un professeur ordinaire, qui découvre dans Prescience qu’un cadavre lui ressemblant trait pour trait a été retrouvé… avec son ADN. Cette révélation agit comme un séisme : et si sa propre vie avait été construite sur un mensonge ? Et s’il n’était qu’un “remplaçant” ? Un passager dans l’existence d’un autre ? Cette incertitude le déstabilise, mais elle résonne aussi chez les autres protagonistes : Aléthée, qui vit dans l’ombre d’un deuil non cicatrisé, Huŏ, dont l’assurance masque mal les failles, ou encore Auguste, témoin lucide et désenchanté.
Une narration en mouvements
Julia Brandon ne choisit pas la linéarité. Chaque tome est une étape, chaque chapitre un arrêt. La saga prend son temps, observe, décale ses révélations, revient en arrière pour mieux avancer. Il y a dans son écriture une forme de respiration narrative, qui épouse l’idée même du “passage”. L’écriture est fluide, mais jamais pressée. Elle accepte l’ambiguïté, la non-réponse. Et dans Prescience, ce refus du spectaculaire est plus fort que jamais : pas de rebondissement artificiel, mais une montée en tension intérieure, presque silencieuse.
Le double, figure du passager absolu
La figure du jumeau – réel ou fantasmé – traverse tout le dernier tome. Qui est cet autre Gustave ? Un frère perdu ? Un clone symbolique ? Un rejeton de la mémoire familiale ? En introduisant la notion d’identité partagée, Julia Brandon pose la question ultime : que reste-t-il de nous si un autre peut être nous ? À qui appartient une vie, un prénom, une histoire ? Le passager devient alors un intrus, ou une projection. Et le lecteur, lui aussi, se trouve déplacé : contraint d’abandonner ses repères, de douter.
Une œuvre sur l’impermanence et les cicatrices
À la fin de la trilogie, rien n’est complètement refermé. Et c’est ce qui fait sa beauté. Le mot “passagers” désigne peut-être, au fond, ce que nous sommes tous : des êtres de passage dans les souvenirs des autres, dans les maisons qu’on habite, dans les relations qu’on tente de construire. Le roman ne cherche pas à rassurer, mais à comprendre. Il dit l’incertitude, la fragilité, la beauté des liens imparfaits.