Le livre de Luc Corlouër, Les chiffonniers bretons de Paris, propose un voyage dans un passé souvent méconnu, en revenant sur la vie de ces hommes et femmes qui, du milieu du XVIIIe siècle jusqu’au XXe siècle, peuplaient la périphérie de Paris et ses banlieues. Ces chiffonniers, souvent perçus comme marginaux, forment une population à part, avec ses coutumes, son langage et ses lois, créant ainsi un monde parallèle en dehors des normes établies. Le texte évoque une communauté composée de personnes en rupture sociale, cherchant une vie alternative dans un environnement où ils pouvaient se réinventer.
L’auteur nous emmène à la rencontre de ces chiffonniers dans divers quartiers de la banlieue parisienne, tels que Gennevilliers, Asnières, Saint-Ouen, Argenteuil, Colombes et Clichy, des zones situées au nord de la capitale. Ce voyage dans le temps nous plonge au cœur de la vie quotidienne de ces habitants qui, malgré leur précarité, avaient développé une identité forte et propre à leur groupe. Le fait que beaucoup d’entre eux portaient des prénoms inventés, parfois insolites, témoigne d’une forme de rébellion contre l’ordre social et religieux de l’époque, notamment contre l’influence de l’Église qui voyait d’un mauvais œil cette population singulière.
L’aspect breton de cette communauté ressort tout particulièrement. Les Bretons étaient en effet présents en nombre parmi ces chiffonniers, ayant quitté leur région natale pour trouver de meilleures opportunités à Paris, même si ces dernières les conduisaient aux marges de la société. Ce phénomène migratoire des Bretons vers la capitale, courant au XIXe et début du XXe siècle, s’inscrit dans un contexte économique difficile en Bretagne, où de nombreux habitants quittaient leurs terres pour chercher du travail. Le livre souligne cette contribution bretonne à la population chiffonnière, ce qui en fait une dimension particulièrement intéressante pour les Bretons d’aujourd’hui, désireux de mieux comprendre l’histoire de leur diaspora dans la capitale française.
Luc Corlouër, grâce à un travail d’archive méticuleux, notamment avec l’utilisation de photographies inédites, parvient à redonner vie à ce monde aujourd’hui disparu. Ces images nous projettent dans un Paris d’un autre temps, où les chiffonniers sillonnaient les rues, cherchant dans les déchets urbains les objets à récupérer, recycler ou revendre. Le livre permet également de remettre en lumière une profession, celle de chiffonnier, qui a joué un rôle crucial dans le recyclage avant l’ère industrielle moderne. Les chiffonniers, appelés aussi « crocheteurs », étaient des pionniers de la réutilisation, fouillant les rues pour dénicher tout ce qui pouvait encore avoir une valeur.
Les termes « crocheteurs », « pêcheurs de lunes » et « zoniers » utilisés dans le texte pour décrire ces chiffonniers témoignent de la richesse du langage populaire associé à cette profession. Chaque terme fait référence à des aspects spécifiques du métier ou de la vie dans la « zone », ce territoire marginalisé en dehors de Paris. Par exemple, les « pêcheurs de lunes » désignent de manière poétique ceux qui cherchaient dans les eaux usées ou les fossés les objets abandonnés ou perdus, dans l’espoir de les revendre. Quant aux « zoniers », ils habitaient ces lieux reculés et informels autour de Paris, souvent décrits comme insalubres et dangereux, mais où ces populations trouvaient un refuge loin des contrôles de la société bourgeoise.
L’ouvrage de Corlouër permet ainsi de redécouvrir non seulement une communauté oubliée, mais aussi une part importante de l’histoire sociale et économique de Paris et de ses environs. Il nous rappelle que cette population chiffonnière, bien qu’à la marge, a contribué à façonner l’histoire de la ville et de la région parisienne. Ce monde disparu, avec ses coutumes et ses traditions, laisse un héritage dont on peut encore percevoir les traces dans la mémoire collective des Parisiens et des Bretons.
Enfin, ce livre offre une réflexion sur l’évolution du travail et des classes sociales. À une époque où le recyclage et l’économie circulaire reviennent au cœur des préoccupations contemporaines, il est fascinant de voir comment les chiffonniers, avec leurs méthodes rudimentaires mais efficaces, étaient les précurseurs de cette pratique durable. Leur activité, souvent déconsidérée à l’époque, prenait en fait une importance cruciale dans l’écosystème urbain, recyclant les déchets avant même que le terme ne soit populaire.
Disponible en librairie et chez des diffuseurs spécialisés comme Coop-Breizh et Le Cormoran Éditions, Les chiffonniers bretons de Paris promet d’être un livre phare pour les passionnés d’histoire sociale et de patrimoine breton, offrant un regard neuf sur un chapitre oublié de l’histoire parisienne.