Revue ‘Je t’emmènerai’ de Niccolò Ammaniti – Mondadori

JE TE PRENDRE ET TE REMPORTER || Nicolas Ammaniti || Mondadori || 452 pages || 17 juin 2014

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A Ischiano Scalo la mer est là mais on ne la voit pas. Dans cette Maremme périphérique de marécages et de moustiques, de bars et de maisons surplombant le vide d’une route provinciale, se déroulent deux histoires d’amour. Pietro et Gloria sont deux petits garçons. Elle est la fille d’un directeur de banque, elle est intelligente, belle et sûre d’elle. C’est le fils d’un pasteur psychopathe, c’est un introverti, un rêveur et la victime préférée des brutes de la ville. Graziano Biglia est de retour à Ischiano, avec sa renommée de guitariste coureur de jupons et le cœur brisé d’un cubiste. Il y rencontre le professeur Flora Palmieri, une femme solitaire et mystérieuse qui a sacrifié sa vie pour s’occuper de sa mère. Et entre les deux, apparemment distantes comme les planètes de deux galaxies, une attraction se crée. Une foule de créatures bizarres et grotesques se déplace autour des protagonistes, comme dans le sillage d’un vent électrique et tourbillonnant.

« Je vais t’emmener et t’emmener », mais loin de quoi ? D’où? La phrase d’Ammaniti dans le titre de ce livre sonne comme une belle phrase, mais qui sait si c’est vraiment le cas.

Qui sait si être emmené est toujours la bonne chose ; qui sait si derrière cette route il y a des rêves qui se réalisent ou des incertitudes.

À Ischiano Scalo, sur la côte du Latium, mille âmes sur la croix, une place, un bar et rien d’autre, il y a peu à faire et peu à emporter.

Les vies de Pietro, Gloria, Graziano, Flora et tout un concert de voix nécessaires pour donner de la couleur à cette histoire bougent parmi ces rues battues par le soleil et l’odeur du sel qui monte des champs.

Comme dans tous les petits villages, à Ischiano Scalo, tout le monde s’est toujours connu ; il y a des habitudes que l’on respecte, comme si la vie fonctionnait plus par inertie que par volonté réelle.

C’est Pietro Moroni, le vrai protagoniste de cette histoire.

Cette histoire commence en été, dans ce qui pourrait être un dernier jour d’école comme beaucoup d’autres ; avant les vacances, le soleil, les baignades en mer, les balades à vélo. Et au lieu de cela, pour Pietro Moroni, tout s’est terminé là ce jour-là : NON ADMIS. Ecrit en gros rouge. INTERDIT.

Mais comment est-ce possible ? Pietro a toujours bien réussi à l’école, c’est un garçon tranquille, il n’a jamais créé de problèmes, il adore lire et rêve d’aller au lycée puis à l’université.

Mais c’est possible : NON AUTORISE. Ecrit en rouge, écrit en gros. Et derrière ces deux mots se cache le secret de ce roman, car c’est précisément à partir de ce 18 juin que la vie de Pietro, et pas seulement la sienne, va changer à jamais.

Je vais t’emmener et t’emmener Et un roman où coule la vie, mais pas la belle et heureuse, celle avec un ciel bleu et le bruit des vagues se brisant doucement sur le rivage. Parmi ces pages se trouve la vie sale, mauvaise, la vie qui te mord même quand tu as besoin d’une caresse.

Ammaniti, plutôt que de créer des personnages, dirige un orchestre dans lequel chaque instrument est nécessaire pour que la mélodie fonctionne.

Si au premier coup d’œil chaque musicien peut paraître hors du temps, lorsqu’on arrive à la fin de cet ouvrage, on se rend compte qu’on a entendu une musique singulière.

Chaque anecdote, chaque détail, chaque mot aboutit à un seul résultat : la vie reprend le dessus.

En lisant on se demande souvent ce qui lie Pierre à un personnage comme Gratien ; et Ammaniti est très doué pour nous accompagner vers la solution de ce qui pourrait apparaître comme un ensemble d’histoires sans rapport et qui, au contraire, se rejoignent toutes sous le soleil brûlant de la place d’Ischiano Scalo.

Ce sera là, derrière les lumières bleues d’une ambulance et le corps sans vie d’une femme, que Pietro Moroni, 12 ans, NON ADMIS, et Graziano Biglia, 43 ans, vainqueur du titre de Trombadeur de la Riviera Romagnole, vont voir leur existence voler en éclats.

Niccolo Ammaniti est étrange ; il ne fait pas partie de ces auteurs dont on lit tout, il ne laisse pas l’envie de retrouver chacun de ses écrits, mais ici il fascine et le fait avec rudesse, presque avec malice.

Entre ces pages, nous traiterons de l’injustice, de l’intimidation, de la solitude, de la douleur, de la perte et nous verrons chacune de ces choses sous leur pire jour.

Il n’y aura pas de paix, il n’y aura pas de fin heureuse ou de faible espoir pour nos protagonistes.

Un roman fort, structuré, dur, parfois morbide qui prend à la gorge et ne lâche plus. Brut, parfois trop… une exagération, à mon sens, de l’hyper-descriptivité de certaines scènes de sexe.

Impardonnable, vu le nom sur la couverture, certains lapsus sur les subjonctif. Mais au-delà de tout cela, un roman à dévorer, comprendre, aimer et garder.

Et qui sait si Peter a emmené Gloria ?