Avis ni ici ni ailleurs

Titre : Ni ici ni ailleurs

Auteur : Patricia Esteban Erles

Éditeur : Pages en mousse.

Année : 2021.

Pages : 248.

Illustrations : Alejandra Acosta.

Qualification:

A propos de l’auteur

PATRICIA ESTEBAN ERLES (Saragosse, 1972) est enseignante et chroniqueuse au Heraldo de Aragón et a publié trois recueils de nouvelles. Le premier d’entre eux, Manderley à vendre (2008), a remporté le Short Narrative Award de l’Université de Saragosse. En 2010, il publie son troisième livre de nouvelles, Bleu russe, à l’Editorial Páginas de Espuma, qui a été sélectionné comme l’un des candidats au prix Setenil. Cette même année, il remporte le premier prix du concours de nouvelles organisé par le magazine Eñe. En 2012, elle publie son premier recueil de nouvelles, Casa de Muñecas, également aux éditions Páginas de Espuma.

Plusieurs de ses histoires ont été anthologisées dans des volumes thématiques et des anthologies telles que Little Resistances 5: Anthology of the new Spanish story (Páginas de Espuma, 2010), Madrid Negro (Siruela, 2016).En 2017, il a remporté le prix Dos Passos avec son premier roman. , Mères noires.

Synopsis de l’oeuvre

Ni ici ni ailleurs est une compilation de seize histoires qui prennent comme référence les personnages et les intrigues de contes populaires de tradition orale. Il les recrée, les transforme et extrait la plus profonde noirceur de chacun d’eux. Les titres des histoires nous donnent une idée des protagonistes que l’on va rencontrer (le prince, l’ogre, le monstre, les géants, les nains) mais on ne soupçonnerait jamais la tournure que leur donne l’auteur ni la profondeur sombre qui se reflète sur chaque page.

Examen

AU-DELÀ DES TRADITIONS

J’avoue que je suis une fidèle adepte de l’œuvre de Patricia Esteban Erlés, je suis une « erlésienne » perdue et j’ai apprécié ses livres d’histoires, son roman et ses publications habituelles sur Facebook, qui me surprennent toujours. C’est pourquoi j’attendais avec impatience ce livre dont j’avais déjà entendu parler avant sa parution et dont les histoires sont toujours surprenantes, originales et dérangeantes. Les trois adjectifs qui pourraient s’appliquer à toute son œuvre. Le roman Las madres negra a une intensité brutale qui vous transporte dans un monde onirique, à la fois irréel et tangible, et fait vivre le lecteur avec des jeunes femmes sans défense et des monstres qui peuplent un décor fictif inspiré de la réalité. La maison Winchester en Californie, son histoire particulière, apparaît comme un fantôme dans les pages du roman.

Dans Ni ici ni nulle part ailleurs, il recrée des contes traditionnels avec la minutie d’un orfèvre se regardant dans le miroir. Dans les histoires, tout a commencé « il était une fois dans un endroit lointain ». Dans les histoires de ce livre, ce qui est raconté ne se passe pas ici ni ailleurs, cela n’appartient pas au monde réel mais à l’imaginaire, au caché, à l’obscur. Il y a des enfants perdus qui ne sont pas Hansel et Gretel, mais qui nous les rappellent parce qu’ils vivent dans une réalité encore plus défavorable. Il y a une belle-mère qui n’est pas celle de Blanche-Neige parce qu’elle pense et ressent, souffre et aime. Il y a un monstre qui n’est pas la Bête que la Belle aimait, sur une scène qui ressemble à un décor de cinéma. Nous retrouvons une princesse enchantée qui n’est pas la Belle au bois dormant mais qui est piégée dans un rêve sans fin depuis des siècles. Ce ne sont pas les personnages de contes de fées que nous connaissons, mais ils pourraient l’être si nous examinons nos cauchemars. Patricia Esteban réinvente les personnages qui peuplent l’enfance et les transforme en êtres impuissants ou cruels ou incompris, et nous offre un livre hypnotique, beau et bouleversant.

Les contes populaires de tradition orale, à l’origine, n’avaient pas d’enfants comme destinataires. Les peurs ancestrales, les tabous et les avertissements étaient cachés parmi les loups, les marâtres et les princes ; même si la fin était toujours rassurante et heureuse. Dans ces histoires, les terreurs font surface, tout est dérangeant, les dénouements heureux ne sont pas possibles et le lecteur est plongé dans un monde irréel puissamment attirant. Parfois, le monstre est si réel, alors de nos jours, qu’il est plus effrayant parce qu’il vit dans notre rue même. Forêts enchantées, châteaux hantés, palais majestueux sont les décors où la mort, la peur, la vengeance, la solitude et la folie errent librement.

Tout ce catalogue de sensations, de pulsions, n’est raconté d’aucune façon, mais avec une belle prose suggestive et travaillée. Entrer dans les pages de Ni ici ni nulle part ailleurs, franchir le seuil de la couverture vert foncé qui évoque les livres du XIXe siècle, avec des anges et des démons, c’est s’immerger dans un monde effroyablement attirant ; c’est savourer des histoires imprévisibles, originales et captivantes.

Les illustrations troublantes d’Alejandra Acosta ajoutent une sombre beauté aux mots, elles dessinent magistralement la terreur : mieux vaut ne pas les regarder avant de dormir car de telles images pourraient peupler nos cauchemars. Le livre lui-même est un bel objet, digne d’être conservé dans nos bibliothèques privées.

Lire avec un léger frisson, avec émerveillement, est un plaisir quand ce qui est lu est si bien décrit qu’on a envie de se perdre dans cette forêt enchantée qu’est la lecture. Perdez-vous dans les histoires de Ni ici ni nulle part ailleurs et amusez-vous comme des enfants pervers qui continuent de croire aux fées, aux monstres et aux princesses enchantées.

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Ni ici ni ailleurs dans pages en mousse

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