Julia Brandon offre un préquel à sa trilogie fantastique

Dans Vita (Des Auteurs Des Livres, 2024), Julia Brandon conte l’histoire d’Automne, une jeune fille avide de connaissances qui rencontre malgré sa joie de vivre une existence tourmentée. À la mort de ses parents, elle se retrouve captive de son frère Jonas qui mystérieusement se découvre un don aussi spectaculaire qu’effroyable pour la peinture. Ce récit fantastique éminemment immersif raconte un amour intense et tragique dont le théâtre est un monde magique moyenâgeux. Nous ne pouvions que rencontrer l’autrice pour comprendre de quel esprit ingénieux provient ce roman incontournable.

Pouvez-vous brièvement présenter votre parcours littéraire ?

J’écris depuis que j’ai 7 ans, j’en ai 29 aujourd’hui. J’ai eu quatre nouvelles publiées à l’âge de 12-13 ans car j’avais suivi les ateliers d’écriture du Prix du Jeune Écrivain. À l’âge de 15 ans, j’ai réalisé un stage aux éditions Parenthèses à Marseille et sous la direction de Jean-Marc Dabadie, ancien directeur des Imprimeries Nationales à Actes Sud Paris. Il avait lu mes nouvelles et m’avait recommandé de continuer à écrire. Je l’ai écouté mais l’écriture demeurait davantage un hobby. J’avais besoin de faire ma vie, mon parcours. Ensuite, le confinement est arrivé. Je me suis remis à l’écriture à ce moment-là. J’ai écrit les deux tomes de la trilogie des Passagers – le tome 3 n’est pas encore paru – et maintenant il y a Vita. Il s’agit du quatrième roman écrit et du troisième publié.

Comment cette histoire a-t-elle germé dans votre esprit ?

J’ai commencé à l’écrire entre le tome 1 et 2 des Passagers. L’histoire m’est venue assez intuitivement, je l’ai mise en pause à un moment parce que la fin ressemblait trop à Roméo et Juliette. Je ne voyais pas l’intérêt. Je l’ai laissé en stand-by pendant un an et demi et j’ai écrit les tomes 2 et 3 des Passagers. J’ai eu l’idée de la fin de Vita à Épinal, aux Imaginales, et je me suis dit que c’était ce qu’il fallait. Je suis rentrée à la maison, j’ai repris la totalité du bouquin parce que la période historique ne fonctionnait plus. J’ai fait un bon de 2000 ans en arrière par rapport à ce que j’avais prévu au départ. Il a fallu travailler toute la cohérence de l’histoire. C’était une écriture sur la durée, cela a nécessité deux ans de réflexion même si je n’écrivais pas dessus. Vita restait dans mon esprit.

N’avez-vous pas craint de le lâcher ?

Je savais que je finirai ce roman. Je ne savais pas quand mais j’étais persuadé que ça viendrait parce que l’histoire me tenait à cœur. Il manquait un trop gros morceau pour que je le fasse d’une traite donc j’ai attendu le bon moment mais je savais que je le finirai.

Y a-t-il des productions littéraires ou cinématographiques qui vous ont particulièrement inspirée dans la construction de votre intrigue, du monde imaginé ou de vos personnages ?

Pour l’environnement, je dirais La Jeune Fille à la perle qui est un bouquin – un film et un tableau aussi – que je lisais juste avant de commencer Vita. Aussi Le Parfum, c’est un peu ces ambiances assez sombres et humides. Sinon Luca Di Fulvio pour la dimension très humaine de tous ses personnages. Même dans les actes les plus horribles il arrive à expliquer comment le personnage en est arrivé là. J’ai trouvé que si j’arrivais à faire la même chose ce serait gagné. Il me fallait réussir à pousser l’humain dans mes personnages pour qu’on arrive non pas à accepter ce qu’ils font mais à les comprendre, c’était important pour moi.

Trouvez-vous que notre monde manque de magie ?

Oui, on ne rêve pas assez je trouve, on est très terre à terre, très métro, boulot, dodo. Notre monde manque effectivement cruellement de magie.

Pouvez-vous nous en dire plus sur le choix de ce titre ?

Vita vient du latin qui veut dire vie. Ce titre résume parfaitement l’histoire d’Automne, son parcours, sa vie et cette quête de liberté, de renaissance, cette quête de soi. C’est sa métamorphose Vita, c’est comment d’un être humain commun elle devient un être extraordinaire. Pour moi, ce terme symbolisait toute cette histoire.

Quel est votre rapport au latin ? 

J’ai fait un bac avec option de spécialité latin-grec avant de m’inscrire à la fac en Lettres classiques. C’est quelque chose qui me plait. Je l’ai étudié et c’est devenu une passion qu’il me plaisait d’intégrer dans le bouquin.

Pourquoi Automne se renomme Pallia et non Vita ?

Le mot pallia est fort. Il faut lire la trilogie pour comprendre pourquoi ce nom. Automne est un peu l’infirmière de Christ, c’est un peu la sainte. Elle s’agenouille devant lui, elle se donne à lui, elle le protège aussi. Elle est son manteau, elle l’a couvert. L’étymologie du mot a donné palliatif. Je trouve que c’est beau cette image qu’elle le protège de sa propre souffrance intérieure. C’est une enveloppe de douceur d’une force incroyable. Je trouve que ce nom lui va bien.

À quel lectorat s’adresse Vita ?

Peut-être dès le lycée mais surtout adulte, je pense qu’il faut un petit peu de vécu pour le comprendre. Il aborde quand même des thématiques qui sont difficiles.

Il y est aussi question d’érotisme un peu sordide.

Oui, il fut un temps je lisais beaucoup de littérature érotique, c’était mon truc. Ce sont des thèmes qui m’intéressent, qui m’interpellent, qui provoquent chez moi des émotions et des sensations. Je souhaitais ressentir en écrivant et donner à ressentir quelque chose au lecteur.

La bibliothèque Novus Mundus tient une place importante dans votre récit. Quel est votre rapport aux bibliothèques ?

Je ne suis pas une grande usagère des bibliothèques, je préfère acheter les livres et avoir l’objet chez moi. Mais je trouve que c’est très important de rendre la littérature et la culture accessibles, d’avoir des bibliothèques riches où l’on peut tout trouver. Il faut conserver ces lieux, les développer et non pas les laisser mourir comme c’est le cas aujourd’hui. Personnellement, j’y vais peu mais c’est essentiel dans une société.

Aujourd’hui, la culture en général est quand même très liée à l’argent. L’art se perd, tout est monnayé et monnayable. On estime une œuvre d’art maintenant non pas au talent qu’il y a derrière mais au prix qu’elle coûte. Je trouve cela désolant. Il est normal qu’il y ait des prix, que les œuvres se vendent, il y a des gens qui doivent en vivre mais il faut quand même rendre l’art accessible, ce ne peut pas juste être de l’argent.

Vous distillez donc vos convictions d’une certaine manière dans votre récit fantastique ?

Oui, je n’ai pas essayé de faire passer des messages mais étant donné que c’est une écriture un peu viscérale d’où surgit mes émotions et mes sentiments, bien sûr qu’il s’agit de mes convictions.

Peignez-vous ?

Pas du tout, j’aurais bien aimé mais je suis très mauvaise en dessin et peinture. J’adore l’art, je voulais être restauratrice d’œuvres d’art au départ. J’avais passé le concours d’entrée de l’École du Louvre que je n’ai pas obtenu puisqu’il est très difficile. La peinture est quelque chose qui me plaît, qui déclenche également des émotions. Ce ne sont pas les mêmes émotions que la littérature parce que c’est sur l’instant, dans l’immédiat, le tableau déclenche quelque chose ou non. Contrairement à la littérature qui est sur le long cours quand on lit un bouquin.

Alors pourquoi Jonas peint-il et n’est-il pas musicien ou sculpteur par exemple ?

J’aime bien le rapport aux couleurs. J’ai réfléchi aux couleurs, je me suis beaucoup renseigné dessus – je suis une grande amatrice de Botticelli par exemple, les couleurs dans ses tableaux me marquent –, je pense que c’est pour cela que j’ai axé le don de Jonas sur la peinture. Il aurait effectivement pu être sculpteur.

Êtes-vous déjà tombée amoureuse d’un monstre en apparence, d’une personne qui se consume ardemment de l’intérieur ou d’une personne invisible ?

Oui, je pense que tout le monde a du bon en soi même si chacun peut devenir mauvais. C’est en chacun de nous, je pense que cela se déclenche certainement en raison du vécu, que l’on peut vriller et tomber dans le mauvais. Je crois que fondamentalement tout le monde est bon mais peut devenir mauvais.

Vous êtes-vous basée sur votre expérience personnelle pour le personnage de Christ ?

Sur ce que j’aimerais que soit l’amour, peut-être. Forcément, il y a de moi et des personnes qui m’entourent de partout dans l’ouvrage. J’ai beaucoup discuté des personnages avec certains proches, ils ont pu me dire « j’ai connu quelqu’un qui a fait ça… ». Il s’agit de la construction d’un personnage, ce n’est pas quelqu’un de précis, ce sont diverses petites touches de personnes que je connais – peut-être beaucoup de quelqu’un en particulier mais ça c’est autre chose.

Pouvez-vous me parler de votre projet de lecture immersive et allez-vous l’étendre à cet ouvrage ?

Oui, c’est en cours. On a fait une lecture immersive pour la trilogie qui raconte l’histoire d’un père qui voyage dans le temps pour sauver sa fille. On a travaillé sur les frises chronologiques pour pouvoir suivre les événements. Ce qui m’intéresse aussi beaucoup dans ce projet de lecture immersive c’est la musique. On a créé des musiques en fonction des personnalités, parfois en fonction d’événements de l’histoire. C’est mon mari qui les a écrites. C’était rigolo parce qu’il écrivait la musique pendant que j’écrivais le bouquin et les deux se répondaient. C’était hyper intéressant comme échange. Là, comme Vita a un lien avec la trilogie, je trouvais bien de pousser le concept. On est en train de créer une salle d’exposition virtuelle dans laquelle il y aura les reproductions des tableaux présents dans le livre. Dessus, on mettra de la musique comme pour la trilogie. Comme c’est un livre qui est très axé sur la sensation, qui est très visuel, je trouvais bien d’avoir le livre qui se lie, se voit et s’entend. Ainsi, on englobe vraiment le lecteur et on touche à toutes les sensations.

Quels sont vos prochains projets littéraires ? Il semble compliqué d’écrire une suite au présent ouvrage.

Il n’y aura pas de suite puisque je pense qu’il se suffit à lui-même. Maintenant, c’est fini. Il y aura un autre livre qui restera du fantastique mais avec totalement un autre univers. Je vais puiser quand même dans l’émotion, dans quelque chose de peut-être encore plus viscéral que Vita mais ça reste sur les relations humaines. Les interactions sociales et la psychologie des personnages m’intéressent. Il n’y aura pas autant de fantastique que dans la trilogie, comme dans Vita ce sera plutôt des touches. Ce nouveau roman est quasiment fini.

Site de Julia Brandon.

Michel-Angelo FEDIDA