Revue ‘Le deuxième étage’ de Ritanna Armeni – Ponte alle Grazie

AU DEUXIÈME ÉTAGE || Ritanna Arméniens || Ponte alle Grazie || 10 janvier 2022 || 288pages

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Dans un couvent franciscain de la périphérie, entre les senteurs du jardin et un nouveau quartier en construction, sœur Ignazia et ses sœurs se retrouvent dans la situation surréaliste d’héberger une infirmerie allemande au rez-de-chaussée et quelques familles au deuxième étage qui miraculeusement échappé à la rafle du Ghetto. Pour les séparer, une échelle et la douce audace de ceux qui n’hésitent pas à s’impliquer jusqu’au bout. Rome, dans la dernière année de la guerre, n’était pas une « ville ouverte ». Les Allemands, à un pas de la défaite, la serrent d’une poigne de plus en plus impitoyable, les Alliés peinent à arriver, les Romains se battent en payant chaque acte de rébellion par le sang. Dans une ville détruite par la faim, les bombes et la terreur, les Juifs sont persécutés, déportés, tués, comme les ennemis les plus dangereux et les plus sinistres. Et l’Église ? Alors que la capitulation nazie se négocie en secret au Vatican et que le pape choisit, plus ou moins ouvertement, la voie de la prudence, les lieux sacrés s’ouvrent pour accueillir – défiant les règles et même certains commandements – les nécessiteux. C’est ainsi que Ritanna Armeni, avec l’enthousiasme rigoureux et profond de tous les temps, traverse un passage crucial de notre histoire et donne forme à une histoire exemplaire, qui parle de courage et de fraternité, de force et de créativité, de joie, de peur, de résistance.

Il y a des histoires que nous connaissons presque par cœur : parce que nous les avons étudiées à l’école, parce que, heureusement, on en parle encore aujourd’hui, parce qu’il y a un jour de l’année consacré, en particulier, à ces événements tragiques.

Et pourtant, chaque fois que nous nous retrouvons à regarder ces images, à les lire dans un livre, à écouter les paroles de ceux qui ont réussi à survivre, le sentiment fort de ne jamais en savoir assez demeure.

Ritanna Armeni nous donne un autre aperçu de la persécution qui a frappé les Juifs pendant les années de la Seconde Guerre mondiale.

Huit cents d’entre eux, dont environ deux cents enfants, furent envoyés directement dans les chambres à gaz.

Le 16 octobre 1943, les troupes de la Gestapo raflent le ghetto de Rome : 1259 personnes ont été arrêtées, 1023 d’entre elles ont été déportées directement à Auschwitz ; seuls 16 d’entre eux sont revenus.

Des centaines de Juifs ont été sauvés en réussissant à s’échapper et à se cacher avant l’arrivée des Allemands. Parmi celles-ci, certaines se sont présentées à la porte du couvent de la Francescane della Misericordia, une petite structure sur la Salaria, où huit religieuses menaient une vie tranquille et retirée, presque complètement inconscientes de ce qui, quelques heures plus tôt, s’était passé sur les rues de Rome.

Sans aucune hésitation, Mère Ignazia accueille les fugitifs et, avec ses sœurs, les cache dans les murs du couvent, dans ce deuxième étage désaffecté depuis longtemps.

Entre les difficultés dues au manque de nourriture et au secret à garder, la vie au couvent semble se dérouler sans encombre, du moins jusqu’à ce que deux officiers allemands se présentent à Mère Ignazia, lui demandant de fournir des chambres dans lesquelles installer une infirmerie.

Armeni nous transporte dans la vie quotidienne du couvent à travers la voix des religieuses, exprimant leurs doutes, leurs peurs, leurs peurs, mais aussi la conscience d’avoir entre les mains le salut de onze personnes qui, hors de la sécurité de ces murs, seraient condamné.

Il ressort notamment la nette distinction entre le silence et l’ombre dans laquelle vivent les invités juifsrendue par l’auteur presque invisible dans le récit, et les soldats allemands qui, d’autre part, prennent de plus en plus de place et de pouvoir au sein du couvent.

Au milieu, comme s’il s’agissait d’un bassin versant invisible, les religieuses.

Ce qui frappe le plus à la lecture, c’est le rôle du Vatican : alors que la chronique de l’époque, insérée d’un chapitre à l’autre, nous confronte à la dure réalité de la guerre, l’église se taitsur la touche au seul moment où il aurait dû faire davantage entendre sa voix.

Au contraire, des dizaines de couvents ont réussi à sauver des centaines de juifs.

L’histoire se déroule sans encombre, même si elle est partiellement pénalisée par une écriture parfois presque froide et détachée.

Il n’y a pas de pathos bien que les situations se prêtent à instiller du pathos chez le lecteur.

Cependant, nous nous retrouvons immergés dans la vie placide et routinière du couvent, nous transformant en observateurs extérieurs et impartiaux, écoutant les paroles des religieuses et essayant de comprendre leurs doutes légitimes sur leur travail.

Le personnage le plus négatif, le sacristain Remo, suscite la colère, mais même dans ce cas, il semblerait presque que l’auteur n’ait pas voulu franchir la frontière de la quiétude bienveillante dans laquelle baigne le couvent, nous présentant un homme ouvertement aligné sur les Allemands, prêts à s’allier à eux, mais abandonnant hâtivement ce fil narratif.

Une lecture qui nous donne un aperçu supplémentaire d’une histoire jamais trop connue, qui nous ouvre une lueur du énième, mais jamais suffisant, refuge que les Juifs ont trouvé lors de leur évasion et qui nous amène à réfléchir, une fois de plus, sur le rôle presque silencieux du pape Pie XII et de l’Église dans son ensemble.