Critique du roman La Crypte des Capucins, de Joseph Roth
Titre : La Crypte des Capucins
Auteur : Joseph Roth
Editeur : Falaise
Traduction : Jésus Pardo
Année 2012
Pages : 188
Qualification:
A propos de l’auteur
Joseph Roth (Brody, 1894-Paris, 1939). L’amère expérience de l’effondrement du monde des Habsbourg et ses conséquences psychologiques, ainsi que la marche forcée des Juifs de l’Europe centrale vers l’Occident, ont été dès le début des thèmes centraux de son œuvre. En 1933, il émigra en France, où il mourut. Depuis, il est considéré, avec une unanimité croissante, comme l’un des plus grands talents de notre époque.
Synopsis de l’ouvrage
le protagoniste de La Crypte des Capucins, héritier d’une famille d’origine modeste anoblie par François-Joseph, décrit sa vie dans la fulgurante Vienne à l’aube de la Première Guerre mondiale. Aux derniers soubresauts de l’empire des Habsbourg succèdent les jours tragiques de la guerre et un après-guerre gris et violent. Avant l’entrée des nazis à Vienne, le jeune Trotta, symbole d’un monde en déclin, descend dans la crypte à laquelle fait allusion le titre du roman, le panthéon impérial autrichien, où il avouera son échec.
Joseph Roth place de l’Odéon à Paris
Avis sur La Crypte des Capucins
La Crypte des Capucins c’est un roman monumental malgré sa courte durée. Une profonde réflexion sur la condition humaine et ses contradictions : « Les hommes ne savent pas être seuls, c’est pourquoi ils forment des groupes absurdes ». Les régions, les pays, les empires, ces lignes de force qui se séparent et s’affrontent, ces frontières qui ne sont pas réelles, ce creuset de peuples (Hongrois, Slovaques, Roumains, Croates, Serbes, Ruthènes, Bosniaques, Souabes, Saxons ), cet immense cimetière qu’est l’Europe, dévastée après une première guerre mondiale et en prélude à la seconde.
L’essence de tout cela est capturée dans cette histoire racontée à la première personne, l’histoire du marquis Francisco Fernando Trotta, témoin de la fin d’une époque, d’un mode de vie régi par des divertissements sans fin (qui ennui de la haute société), par des coutumes rigides et enracinées qui régissaient même les relations familiales ; même l’amour est un engagement incontournable à éviter tant que possible. Condescendance envers « l’inférieur », idées abstraites, bonté :
« Vous savez, je ne suis pas un patriote, mais j’aime beaucoup les gens de mon pays. Un pays entier, même une patrie, ce sont des choses abstraites, mais un paysan est quelque chose de concret. Je ne peux pas m’occuper de tous les champs d’avoine et de tous les champs de blé, ni de toutes les forêts de pins et de tous les marécages, ni de toutes les dames et messieurs polonais ; mais oui pour un certain champ, pour un bosquet, pour un marais, pour une personne ».
Dans la première partie de son roman, Roth dresse le portrait magistral de jeunes gens aisés, installés dans une réalité artificielle qui va se briser lorsqu’ils seront appelés, sans distinction d’âge ni de position sociale. La Première Guerre mondiale signifiait non seulement une bataille sanglante et absurde, mais aussi la perte d’un monde. Vienne, la capitale et siège du gouvernement, s’est nourrie du reste du peuple soumis à l’empire, un empire qui l’a vampirisé jusqu’à la ruine économique, une poudrière qui a fini par exploser et faire des millions de morts. La mort nous égale tous sans distinction, une mort présente dans de nombreuses pages de cet ouvrage où l’auteur répète une phrase qui sonne comme un péage funèbre : « La mort traversait déjà ses mains osseuses. »
Le style direct, parfois ironique, permet au lecteur de transmettre l’essentiel, sans jamais se perdre dans des descriptions inutiles. L’auteur n’est pas intéressé à plonger dans la guerre, dans les batailles, mais dans les conséquences. Dans la façon dont le personnage change, dans la façon dont à son retour il tente de sauver sa vie perdue, et petit à petit il suppose que tout a changé. L’un des meilleurs personnages du récit, la mère du protagoniste, représente toute cette classe sociale qui refuse de s’éteindre, qui cherche des stratégies pour survivre. Le protagoniste évolue de l’innocence et de l’insouciance initiales à la tristesse et à l’amertume des dernières pages :
« Moi, aujourd’hui encore – maintenant, probablement, vers ses dernières heures, un homme peut-il dire la vérité – appartenons à un monde clairement décadent, dans lequel il semble naturel que les peuples existent pour être gouvernés, et que, par conséquent, s’ils veulent pour continuer à être des peuples, ils ne peuvent pas se gouverner ».
Un roman de réflexion, une lecture totalement valable de nos jours. Nous continuons à faire les mêmes erreurs, même si les formes et les accents sont différents, mais avec les mêmes résultats dévastateurs. La littérature est là pour nous le rappeler.
Oeuvres de Joseph Roth dans Falaise